2X3+1=7

2X3+1=7 OU L'IMPOSSIBILITÉ DE NOMMER LES CHOSES

LUC_4689
LUC_4687
LUC_4681
LUC_4682
LUC_4665
LUC_4668
LUC_4652
LUC_4645
LUC_4650
LUC_4678
LUC_4639
LUC_4633
LUC_4628
LUC_4588
LUC_4565
LUC_4549
LUC_4692
LUC_4696
LUC_4703
LUC_4724
LUC_4720
LUC_4719
LUC_4726
LUC_4736
LUC_4743
LUC_4739
LUC_4746
LUC_4770
LUC_4760
LUC_4848
LUC_4796
LUC_4790
LUC_4786
LUC_4782
LUC_4752
LUC_4795
LUC_4825
LUC_4805
LUC_4810
LUC_4839
Repet_Luciana_Bino138
Repet_Luciana_Bino150
Repet_Luciana_Bino135

"2X3+1=7 ou l’impossibilité de nommer les choses" est la troisième partie de la série de performances de danse/théâtre ayant comme point de départ la mise en scène de la mythologie personnelle du performer. Ici, l’objet de la recherche est la rencontre de deux mondes distincts. La « rencontre », d’une part, en tant que possible concept pour la construction d’une performance autobiographique et, d’autre part, celle de deux individualités qui se trouvent dans la « situation » d’être ensemble. Cette situation, le constat d’être ensemble dans l’ici et maintenant, devient la possible dramaturgie corporelle qui peut se développer, créer corps. Deleuze en citant Foucault, a dit que nous devenons spécifiques et que nous ne pouvons plus parler au nom de valeurs universelles, « mais au nom de sa propre compétence et situation ».


Cette recherche d’une écriture physique personnelle, nourrie d’influences d’autres artistes et d’autres processus de formation (pratique et artistique), ainsi que le désir de créer un parcours progressif sans but défini deviennent l’œuvre elle-même. Il s’agit ainsi de traiter sa propre situation en tant qu’actualité : c’est ce que Guattari appelait la transversalité, « par opposition aux groupes hiérarchisés où quelqu’un parle au nom des autres ». Nous essayons de déceler dans les conditions actuelles de vie et de création où nous nous trouvons les directions à prendre, les pistes à suivre. Ces dernières, dans un processus empirique, deviendront l’œuvre d’art, à partir de l’optique du work in progress et du fragment comme porteur de sens. Ces conditions qui forgent et formatent la création sont politiques, mais également logistiques, comme la réduction du temps que l’on peut accorder à nos recherches par un quotidien dans lequel nous somme piégés et qui nous impose l’obligation économique d’un travail alimentaire, et la difficulté financière à payer un studio de danse pour les répétitions. Cette précarité est étroitement liée à la nécessité de l’entraînement physique, caractéristique et condition de base du travail du danseur, puisque l’on doit payer pour des cours dans des écoles et que les studios publics sont quasi inaccessibles. Pour ces raisons, le travail se développe par bribes, par fragments, dans et avec le temps dont nous disposons. On répète dans le salon minuscule de nos appartements ou dans des squats, on compte la monnaie pour payer une salle, si possible la moins chère à Paris, etc. C’est le désir et la nécessité de la création qui nous poussent à l’action. Nous devenons ainsi des « passeurs », des corps empruntés et utilisés pour et par cette nécessité de création qui dépasse les limites de la vie. Artaud parle de l’art comme étant un sacerdoce, non d’une manière religieuse, mais mystique. Ce que Grotowski a développé à sa manière quand il cherchait un théâtre pauvre – un théâtre qui ne dépende pas des moyens de production, mais de l’énergie et de la foi de l’acteur.


Cette performance est ainsi un fragment de vie qui parle de la difficulté et du désir d’être ensemble, de la rencontre et de la collaboration, de la construction d’un univers à deux. C’est un parcours artistique qui se mêle à celui de la vie même. Ces difficultés sont exprimées et représentées ici par la relation d’un couple homme et femme, mais qui pourrait se composer de deux êtres quel que soit leur genre. Le travail de création est le résultat et le croisement des aspects de l’intime, du privé, du subjectif, ainsi que de ceux du concret, de la réalité de la vie quotidienne. Il se situe dans les allers et retours, les bifurcations, la non logique et les sauts de la pensée, des émotions, de l’imaginaire et de la réalité. Cette performance fait écho à l’esthétique que l’on trouve dans la « réalité toute prête » de Kantor : ce qui nous est donné comme conditions de vie et de création ; la « réalité » comme un ready-made. Par son caractère fragmentaire et en processus, "2X3+1=7 ou l’impossibilité de nommer les choses", s’inspire du concept de monade : l’œuvre en tant que processus des plis du dedans et du dehors, et le fragment comme forme indépendante et représentant de la totalité qui l’englobe. Ce fragment peut prendre différentes formes et de multiples sens, car il est cohérent à la fois par lui-même et en tant que partie d’un système qui le fait exister autrement.


Selon Deleuze, « on sait quel nom Leibniz donnera à l’âme ou au sujet comme point métaphysique : monade. Il emprunte ce nom aux néo-platoniciens, qui s’en servaient pour désigner un état de l’Un : l’unité en tant qu’elle enveloppe une multiplicité, cette multiplicité développant l’Un à la façon d’une “série”. Plus exactement l’Un a une puissance d’enveloppement et de développement, tandis que le multiple est inséparable des plis qu’il fait quand il est enveloppé, et des déplis, quand il est développé. [...] La série infinie des courbures ou inflexions, c’est le monde, et le monde entier est inclus dans l’âme sous un point de vue. [...] On dira même que, dans la mesure où l’âme est pleine de plis à l’infini, elle peut toutefois en déplier un petit nombre à l’intérieur de soi, ceux qui constituent son département ou son quartier. [...] L’âme est l’expression du monde (actualité), mais parce que le monde est l’exprimé de l’âme (virtualité). [...] La monade est une cellule [...] : une pièce sans porte ni fenêtre, où toutes les actions sont internes. [...] La monade est l’autonomie de l’intérieur, un intérieur sans extérieur. [...] Les portes et les fenêtres de la matière n’ouvrent ou même ne ferment que du dehors et sur le dehors. Certes, la matière organique esquisse déjà une intériorisation, mais relative, toujours en cours et non achevée. Si bien qu’un pli passe par le vivant, mais pour répartir l’intériorité absolue de la monade comme principe métaphysique de vie, et l’extériorité infinie de la matière comme loi physique de phénomène. »


Geneviève Schwoebel parle de cette performance ainsi : « L’écriture chorégraphique de Bino Sauitzvy et de Luciana Dariano réveille des mémoires furtives. C’est de l’ordre microscopique, on se promène dans le champ de la sensation, de l’immédiateté. Furtif donc. Une écriture qui effleure la peau, affleure au corps comme le pourpre sur les joues d’un enfant. C’est en effet épidermique comme un grattement animal, et si on croit voir quelque chose se dessiner devant nous, c’est quelque chose d’une acoustique oubliée qui nous apparaît. D’ailleurs la femme pousse des petits cris si aigus, si sauvages qu’on se surprend soi-même aux aguets. L’homme, lui plus terrien, pousse, souffle, renâcle ou rugit, on est dans le cœur sauvage de la vie. Les gestes comme les sons poussent au corps comme de brusques saillies venues d’on ne sait où. Cette mêlée, où le corps de l’un s’expérimente à l’autre dans un jeu d’attraction-répulsion, n’a rien à voir avec le sentiment ou une quelconque psychologie. Pas de narration pré-écrite, ni même de masochisme dont nous serions les témoins privilégiés. En face de qui s’accroche et se détache, sans jamais se libérer il y a bien une quelconque ressemblance, père, mère, fils, fille, amants, toute ressemblance avec sa propre vie est une pure coïncidence, bien malin celui qui pourra nommer ce qui n’a pas de nom ! La scène semble antérieure, plus archaïque. Un texte s’écrit dans l’air, le mouvement s’efface si vite qu’il laisse des traînées de poudre comme le passage des pas sur une dune. Le plateau est nu. Seulement une chaise comme un territoire à occuper... Pas d’objets mais des vêtements qui collent au corps : une robe à carreaux rouges pour elle, et des chaussures qui rappellent l’enfance. Lui, porte des godillots, un marcel et un pantalon à bretelles, un homme simple, démuni, un rien dérisoire. Rien de spectaculaire donc, ni once de séduction, ils, l’homme, la femme, s’épuisent sur le plateau. Une danse s’explore devant nous comme un théâtre du vide. Un homme et une femme s’épuisent dans le vertige d’un tango chaotique qui n’en finit pas de swinguer entre vie et mort. On a le sentiment d’un arrachement pris à la source, l’énergie vitale de Bino Sauitzvy et de Luciana Dariano nous transporte. »


Mise en scène : Biño Sauitzvy.
Chorégraphie, création et interprétation : Biño Sauitzvy et Luciana Dariano.
Décor et costumes : Biño Sauitzvy et Luciana Dariano.
Production : Le Collectif des Yeux.
Création Lumière (Brésil) : Claudia de Bem.
Graphisme et photos : Lucile Adam.
Durée : 60'.

Création 2007/2008.
Présenté sous forme de
work in progress aux Spectacles sauvages, Studio Regard du Cygne à Paris en 2008. Suite à une résidence de création au Point Ephémère où il a été présenté en 2008/09, le spectacle s’est produit au Théâtre de la Girandole/Montreuil en 2010 ; en 2011, au Festival Dance Box – Centre Culturel Bertin Poirée – Paris et au Festival International de Théâtre et de Danse – Poa em Cena à Porto Alegre/Brésil et au Théâtre de L'Epée de Bois, à la Cartoucherie de Vincennes.

Il a donné l’origine à une vidéo- danse de Lika Guillemot réalisée en 2010.


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)

https://www.theses.fr/2016PA080114