Le projet Innommables a tout d’abord été conçu pour être présenté dans la rue et n’avait d’autre but que la nécessite de création. Il part de la polyphonie des voix qui constituent l’identité individuelle, et de la difficulté de nommer avec précision les processus, les mouvements de la construction identitaire. Ainsi, "Innommables n° 1 - Objet chorégraphique portable" est le premier volet de cette série appelée Innommables, et il a été construit à partir d’une recherche basée sur la performance autobiographique et les expériences dans les arts vivants autour des différentes identités qui composaient le groupe impliqué dans la création. Entre la danse, le théâtre et le live art, le projet d’Innommables considère le corps comme une boîte de résonance et est nourri d’histoires intimes et héritées. Cette première pièce réunit des artistes aux parcours humains et artistiques variés, et originaires de différentes cultures.
Ces performers sont les créateurs, les interprètes et les dramaturges du spectacle. Le résultat/forme final est la conséquence d’une investigation intime et du processus même des répétitions. La pièce, enchevêtrement de récits introspectifs, est créée dans et à travers les répétitions, dans un système empirique, basé sur la pratique et l’expérimentation du corps. Nous partons des techniques de la danse, du butô, du cirque et du théâtre pour créer une grammaire corporelle commune à tous, pour établir des jalons à partir desquels des corps « transversaux » prennent d’autres formes.
Cela induit un travail d’autofiction, avec la création d’un « non-personnage », comme un autre soi, son double scénique, son alter ego, avec l’idée que dans le présent, la mise en forme d’un événement passé, d’un souvenir, n’est pas une reproduction de cette réalité passée, mais un simulacre. Le processus de construction à travers l’utilisation de la mémoire revient à fabriquer du faux avec le réel, impliquant un constant balancement entre la réalité et la fiction.
Selon Deleuze, « l’individu acquiert un véritable nom propre à l’issue du plus sévère exercice de dépersonnalisation, quand il s’ouvre aux multiplicités qui le traversent de part en part, aux intensités qui le parcourent. » Difficile de définir ce qui nous est propre, ce qui nous appartient vraiment. L’artiste est comme un catalyseur de tout ce bagage à la fois choisi et subi. Pour Deleuze, la réponse face à l’affluence de ces informations serait l’« autorisation » : s’autoriser à accepter ces multiplicités et construire son langage personnel à partir de ce flux d’informations. Ce que nous prenons ou nous approprions peut devenir un outil pour dévoiler notre propre personnalité ; ce que nous avons emprunté s’est déjà imprimé en nous.
Les performers travaillent ainsi sur l’histoire, sur leur propre bagage d’images intimes, ce qui les met face à des multiplicités, à différentes singularités. Ce langage physique n’est qu’une pluralité d’images, de mouvements et de sensations, et c’est la rencontre, l’entrechoquement de cette multiplicité qui crée la spécificité, l’identité autant du langage physique que du performer.
L’objectif est de créer des séquences chorégraphiques sous la forme de solos, duos et scènes d’ensemble. Le montage se fait dans un travail de composition, de décomposition et de déclinaison, d’images, de mouvements, de scènes courtes. Les mêmes phrases ou matrices peuvent être habitées par différents corps pour laisser apparaître les détournements et les décalages qui en découlent.
Ces formes ont eu trois finalités. La première est la réalisation d’une vidéo- danse, où l’environnement est un ready-made, dans lequel les corps agissent et donnent d’autres significations à cet espace qui appartient au réel ; la deuxième, une pièce chorégraphique qui devient un live art, proche du Théâtre Invisible de Boal, et qui a comme dispositif scénique la rue et l’espace public ; enfin, une captation photographique comme autre médium générateur d’images. Nous nous intéressons ici à la multiplicité des produits selon les différents supports et médias. Ainsi, la performance live art, au-delà de son propre caractère d’événement, donne lieu à d’autres productions, telles que la vidéo et la photo.
Notre corps comme notre langage est un héritage. Le corps est comme parlé, dansé, traversé, habité par des images, des mouvements qui appartiennent à d’autres. Le corps comme une caisse de résonance, un écho à ces images du passé subies ou désirées. Ce langage physique n’est qu’une pluralité d’images, de mouvements et de sensations, et c’est la rencontre, l’entrechoquement de cette multiplicité qui créent sa spécificité, son identité…
Mise en scène et chorégraphie : Biño Sauitzvy.
Création et performance : Luciana Dariano, Fabiola Biasoli, Magali Gaudou et Omid Hashemi.
Durée : 20’.
France, 2008/2009.
Création vidéo : Lika Guillemot.
Photo : Lucile Adam.
Production: Le Collectif des Yeux.
Soutien: FSDIE - Université Paris 8 - Saint-Denis.
Action 1 : enregistrement d'une performance chorégraphique au bord du canal saint martin, Paris X, le 14 février 2009.
Puis, toujours en 2009, la performance a été rejouée au Festival Interculturel CIVD de l’Université Paris VIII et pendant la Nuit Blanche à Saint-Denis et au Festival A Pas de Corps au Théâtre de la Girandole à Montreuil. En 2010, au Festival 10/10 au Couvent des Récollets dans le Xe arrondissement à Paris. Une vidéo-danse a été créée par Lika Guillemot à partir de deux présentations sur les berges de la Seine à Saint- Denis lors de la Nuit Blanche, sans pour autant reproduire la forme de la performance. Elle est ainsi une nouvelle création dans le langage de la vidéo sans vouloir être un enregistrement fidèle de l’événement.
Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)
https://www.theses.fr/2016PA080114