Innommables n°3

INNOMMABLES N° 3

ON DIT QUE LES CHATS ONT 7 VIES

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Troisième et dernier volet de la série Innommables, Innommables n° 3 – On dit que les chats ont 7 vies, reprend les concepts de base de la série pour explorer de nouvelles pistes. La série des Innommables a commencé par la nécessité de création, ainsi que par le besoin de rechercher des objets artistiques d’un genre non prédéfini : Innommables n° 1 – Objet chorégraphique portable, pièce pour 4 danseurs/acteurs, composée des fragments autobiographiques des performers, a été mis en espace dans et pour la rue ; Innommables n° 2 – Pièce pour rien dans l’ère de la reproductibilité, pièce pour 6 danseurs/acteurs, explorait le concept d’originalité et de la dégradation dans le système de copie. Avec Innommables n° 3 – On dit que les chats ont 7 vies, au-delà de la question de l’originalité, nous voulons nous interroger sur la mort, non pas en tant que fin, mais sous l’aspect de la possibilité d’un nouveau départ, d’un renouveau.


Dans un premier temps, il s’agissait de répéter sept fois le même acte transformé à chaque réitération – la scène d’un meurtre empruntée à des œuvres célèbres du cinéma, de la littérature, de la peinture ou des arts vivants. Il était alors question du passage d’un état à l’autre, créant ainsi des phénomènes de résistance et d’épuisement. La mort est ici le déclencheur de nouveaux devenirs, de nouvelles perceptions, de nouvelles urgences. Néanmoins cette piste a été abandonnée : dans le même temps, la réalité même nous a fourni un événement clé associé à la thématique de la mort. C’est ce que Philippe Garrel appelle « être pris par le réel », l'« être dans l’actualité » de Foucault. Plus précisément, cela fait référence à « l’homme infâme » de Foucault, décrit par Deleuze : « Il y a des sujets : ce sont des grains dansants dans la poussière du visible, et des places mobiles dans un murmure anonyme. Le sujet, c’est toujours une dérivée. Il naît et s’évanouit dans l’épaisseur de ce qu’on dit, de ce qu’on voit. Foucault en tirera une très curieuse conception de “l’homme infâme”, une conception pleine d’une gaieté discrète. C’est l’opposé de George Bataille : l’homme infâme ne se définit pas par un excès dans le mal, mais étymologiquement comme l’homme ordinaire, l’homme quelconque, brusquement tiré à la lumière par un fait divers, plainte de ses voisins, convocation de police, procès... C’est l’homme confronté au Pouvoir, sommé de parler et de se faire voir. Il est encore plus proche de Tchekhov que de Kafka. Dans Tchekhov, il y a le récit de la petite bonne qui étrangle le bébé parce qu’elle n’a pas pu dormir depuis des nuits et des nuits, ou du paysan qui passe en procès parce qu’il déboulonne des rails pour lester sa canne à pêche. [...] L’homme infâme, c’est une particule prise dans un faisceau de lumière et une onde acoustique. Il se peut que la “gloire” ne procède pas autrement : être saisi par un pouvoir, par une instance de pouvoir qui nous fait voir et parler. »


Innommables n° 3 – On dit que les chats ont 7 vies est dès lors inspirée de faits divers qui ont eu lieu en France, notamment celui des infanticides de l’aide-soignante Dominique Cottrez. Cette espèce de Médée contemporaine semblait mener une vie normale, décrite par elle-même « banale », jusqu’à ce que... Avec cette performance, entre la danse et le théâtre, nous voulons nous interroger sur le corps imposé, dans son genre, dans sa fonction, dans son imagerie, ainsi que sur la banalité de la mort et de la vie. Néanmoins, il n’y a pas ici de réponses, il y a simplement des images qui résonnent... Dans la continuité des deux premières performances de cette série, ce travail reprend les concepts d’héritage et d’hommage comme des processus de création artistique. Les séquences chorégraphiques sont créées dans un travail de composition, de décomposition et de déclinaison, en s’inspirant d’images, de mouvements, de scènes, de schémas connus, inscrits dans notre patrimoine et matrimoine, ancrés dans notre imaginaire et dans notre corps, pour les reproduire, les remettre en jeu, les expérimenter d’un corps à un autre, d’un rythme à un autre, d’une identité à une autre, laissant apparaître les détournements et les décalages qui en découlent. C’est également l’occasion de questionner la notion d’originalité. La création, selon Laurent Milesi, serait une filiation, une dérivation profane à partir d’un original sanctifié. Ce serait donc assumer la chute du sacré, du « bon art », établi arbitrairement par nos pères comme la référence, dans un laïque parodique et blasphématoire, détournant délibérément les codes de son héritage.


Dans une temporalité et un espace non définis, coexistent trois figures, évoquant la cellule familiale traditionnelle père-mère-enfant ; schéma hérité et imposé, parfois avec une telle force, une telle violence, que la mort se présente à l’individu qui le subit comme l’échappatoire idéale, tel que l’on peut supposer qu’il en a été dans certains cas d’infanticides. À la lueur des réactions des maris de Dominique Cottrez et de Véronique Courjault, qui soutiennent tous deux n’avoir rien su ni des grossesses, ni des meurtres, on observe que ce modèle, ciment de notre société et premier lien du tissu social, révèle ses tares, et peut s’avérer bien plus isolant et meurtrissant. On peut noter avec quelles difficultés la justice traite ces affaires ; la notion de responsabilité est troublée, elle devient un concept flottant au-dessus de nos têtes, qui appartiendrait à une divinité, à nos pères.


En partant donc d’images d’Épinal de l’homme face à son plat de spaghetti et de la femme qui tricote pour l’enfant à venir, les figures de cette cellule sont agies plus qu’elles n’agissent par des corps qui les dépassent, se débattent à l’intérieur d’un système de rapports devenu mortifère, au propre comme au figuré. Tandis que les enfants meurent, presque sans drame, comme on pouvait noyer les chatons d’une portée trop lourde à assumer, les corps cherchent à recréer de la vie, à apprendre à devenir l’enfant, à devenir la mère, à redanser une valse ensemble, à chanter sous la pluie. Il s’agit ainsi d’une tentative, d’un acte, comme le dit Beckett en Malone Meurt : « Vivre et inventer. J’ai essayé. J’ai dû essayer. Inventer. Ce n’est pas le mot. Vivre non plus. Ça ne fait rien. J’ai essayé. »


L’arbre qui cache la forêt, installation qui vient s’inclure dans l’espace, est un arbre aux racines puissantes qui s’enfoncent jusque très loin dans la terre. Fruit d’une collaboration entre les artistes plasticiens Alain Quercia et Lika Guillemot, pour une installation à la biennale de Lyon 2013, cet arbre majestueux et sensible déploie des formes mi-organiques, mi-végétales, tissées de fibres. L’arbre se ré-agence pour la scène avec les mains de l’artiste Julien Mélique pour la création de sa structure. Dans les Innommables n° 3, l’arbre devient l’hôte des secrets. Il assiste aux drames humains, et, dans une relation de symbiose, paraît s’en nourrir.


Les femmes des Innommables n° 3 sont vêtues de robes de nuit anciennes en coton blanc. Sortes de robes blessées, secondes peaux, des taches rouges simulent les blessures. Un jeu entre le vrai et le faux puisque ces taches sont cousus de fils rouges. Elles mettent en lumière les blessures intimes et personnelles des individus, comme si les tissus portés gardaient en mémoire les violences subies. Mais parfois, l’individu se joue de lui-même, s’entête pour ne pas voir, s’invente une autre vie et les taches n’apparaissent pas sur le tissu transfert. C’est alors le psychique qui se tache. La robe elle, reste d’une blancheur éclatante au vu des autres, mais la femme intérieure semble diminuer, se refermer sur elle-même dans sa coquille imaginaire.


Mise en scène et chorégraphie: Biño Sauitzvy.

Performance: Julien Bouanich, Maëlia Gentil et Magali Gaudou.

Création: Biño Sauitzvy, Julien Bouanich, Maëlia Gentil, Magali Gaudou et Manon Vincent.

Costume: Lika Guillemot.

Installation « L'arbre qui cache la forêt »: Lika Guillemot, Alain Quercia et Julien Mélique.

Lumière: Marinette Buchy.

Assistance chorégraphique: Luciana Dariano.

Photo/Graphisme: Lucile Adam.

Recherche musicale: Isabelle Moricheau.

Production: Le Collectif des Yeux.


Résidence de création à Micadanses (CDC Paris Réseau) en 2011.

Soutien CND/Pantin et Université Paris 8 (prêt studio).

Co-réalisation Le Collectif des Yeux et Théâtre La Loge.


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)

https://www.theses.fr/2016PA080114