Entre danse, théâtre et cirque, Under the Ground explore les pratiques animistes et écosophistes. Au cœur de cette création : la forêt, ses habitants, ses mythes et ses légendes. Le personnage qui occupe le centre de la scène n’est autre qu’un arbre, prenant le contrepied d’une approche anthropocentriste plaçant l’homme au centre de l’univers. Cet arbre majestueux, créé par la plasticienne Lika Guillemot représente à la fois un individu et un ensemble, un écosystème à partir duquel d’autres habitants apparaitront.
C’est un micro et un macro cosmos, qui laissera apparaître sous ses longues racines et ramifications, tout un autre microcosme souterrain, que l’on ne voit pas à la surface, dans la vie quotidienne, dans les villes : des êtres vivants hybrides, mi-hommes, mi-végétaux, mi-animaux, êtres fantastiques peuplant les récits mythologiques.
Initialement sous forme larvaire, ces êtres se retrouvent liés, comme les êtres doubles à l’origine des espèces décrits dans Le Banquet de Platon. Ils se séparent ensuite, dans un processus d’individuation. La dualité apparaît, l’un devient deux, et des questions existentielles apparaissent.
C’est l’origine d’un drame archaïque, la séparation des principes opposés complémentaires. Et c’est à travers l’exemple de cette relation, comme celle des gémeaux mythiques (Caïn et Abel, Romulus et Rémo, Omama et Yosi, etc), de l’androgyne, mais aussi des personnages de Beckett tels que Didi et Gogo, Mercier et Camier, de leur union à leur séparation dans une bataille pour la vie, dans une trajectoire qui est une branche de vie, que se réécrit ce drame mythique.
Conception, mise en scène et chorégraphie : Biño Sauitzvy.
Création et interprétation : Cyril Combes et Lorette Sauvet.
Participation dans la première phase de création: Théo Lavanant et Alessandro Brizio.
Décor : Lika Guillemot.
Musique : Bianca Casady (CocoRosie).
Lumières : Baptiste Joxe.
Co-production: Le Collectif des Yeux, Le Générateur et Festival Faits d'Hiver.
Résidence de création : Académie Fratellini, Micadanses – Paris, Le Générateur et Théâtre Onirique (Le Locle).
Création 2021.
Durée : 60min.
Photos : Bernard Bousquet.
Texte: Biño Sauitzvy.
Biño Sauitzvy / Under the ground / Ouverture sur un autre monde
Par J.M. Gourreau, le 05/02/2021.
Il est des spectacles dont on ressort saisi, touché au plus profond de soi-même, sans que l’on puisse en expliquer la raison. Under the ground du chorégraphe brésilien Biño Sauitzvy est de ceux là. La lecture du programme peut certes apporter quelques éléments de réflexion, notamment pour suivre le déroulé de la pièce mais il faut souvent aller chercher ailleurs, et tout particulièrement dans le parcours de son auteur pour en comprendre la véritable raison. Under the ground est, en apparence du moins, un simple duo, celui d’un homme et d’une femme au pied d’un arbre majestueux, un chêne peut-être, voire un pommier… La chorégraphie extrêmement sophistiquée interprétée par les protagonistes de l’œuvre fascine, non par sa complexité ou l’harmonie de ses lignes mais par la charge émotionnelle qui la soutient, par la sensation de légèreté, d’immatérialité et de bonheur qui s’en dégage. Rien de plus banal pourtant que ces majestueuses circonvolutions, que ces enlacements passionnés, que cette gestuelle aérienne truffée d’arabesques délicates et équilibrées, du plus bel effet, il est vrai. Ce qui peut toutefois surprendre, c’est qu’ils/elles soient transposés/es non par de sveltes danseurs mais par des circassiens au corps musclé.
En fait, l’émotion qui nous étreint et nous subjugue vient d’ailleurs. Un coup d’œil sur le programme nous apprend que Biño Sauitzvy est un adepte de l’animisme et de l’écosophisme. Pour lui, tous les êtres vivants, animaux comme végétaux, ont une âme et, selon le concept forgé par le philosophe suédois Arné Naess en 1960, tous ces êtres vivent en équilibre et en harmonie. Une brèche, une cassure, et tout peut très vite s’écrouler. Notre vision du monde ne doit donc pas être anthropocentrique ; bien au contraire, nous avons des devoirs et des responsabilités vis-à-vis de tous les êtres vivants, quels qu’ils soient. Des échanges ont lieu naturellement entre eux, et ce sont ces échanges qui contribuent à l’équilibre du monde. Si l’on prend par exemple le corps humain, on peut considérer qu’il est constitué d’un assemblage d’êtres vivants différents, d’espèces compagnes, autonomes que sont nos cellules, lesquelles ont bien évidemment d’innombrables relations entre elles. Chacune d’elles a une fonction bien spécifique, et la destruction d’une seule d’entre elles peut aboutir à la mort du macrocosme qu’elles constituent. Si l’on va plus loin et que l’on se penche sur les relations existantes entre l’Homme et les autres éléments naturels vivants, il en est de même. La Nature, c’est un ensemble d’espèces connectées les unes aux autres, indissociables. En anéantissant une quelconque forme de vie, directement ou indirectement, consciemment ou inconsciemment, par les émissions de gaz à effet de serre pour ne prendre qu’un exemple global, l’Homme se détruit lui-même à petit feu. On pourrait même aller plus loin si l’on prend en compte le surnaturel, l’invisible, sous-jacent dans ce spectacle, comme ont pu le faire, dans le domaine de l’art chorégraphique, les danseurs de butô.
C’est, au fond, ce lien entre tous ces éléments que le chorégraphe a voulu nous faire sentir au travers de ce spectacle. Sur le plateau évoluent en fait trois entités vivantes et non deux: les deux circassiens et l’impressionnant arbre de la plasticienne Lika Guillemot. Tous trois sont issus du sol, de la terre nourricière. Ils naissent et meurent. Ils mutualisent leurs moyens et les optimisent. Ils font corps et sont complémentaires. Ils peuvent se séparer mais doivent inéluctablement se rapprocher. A l’image des androgynes, des hermaphrodites, des chamans, des esprits qui s’éloignent des villes pour se rapprocher de la forêt. Et ce sont tous ces liens que nous percevons inconsciemment et qui s’immiscent au tréfonds de notre être, qui nous touchent et nous obsèdent longtemps encore à l’issue du spectacle.
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Under the ground / Biño Sauitzvy, spectacle donné à huis clos au Générateur à Gentilly le 01.02.21, dans le cadre du Festival Faits d’hiver. Le spectacle a été représenté au Générateur en novembre 2021.