abraço

ABRAÇO

abraço4
abraço1
abraço2
abraço3
foto

Abraço , « étreinte » en français, est une performance-image-action réalisée à Rio de Janeiro (Brésil). Inspirée des cartoons de l’une des plus important.e.s cartoonistes brésilien.ne.s, la trangender Laerte, Dois homens que se abraçam (Deux hommes qui se tiennent dans les bras), la performance consiste en une étreinte filmée entre deux hommes, d’une durée d’une heure, dans l’espace public. 


Ce cartoon a été créé à partir des cas de violence contre les homosexuels au Brésil, notamment celui qui a eu lieu en 2011 : un groupe homophobe a tabassé à mort deux hommes qu’ils ont pris pour des homosexuels ; il s’agissait d’un père et de son fils qui se tenaient dans les bras l’un de l’autre.


Si Abraço reprend des questions traitées et expérimentées dans d'autres performances de Bino Sauitzvy (le temps et l’immobilité, dans C.O.L.O ; le genre, dans Ex-Vivo, en Mutation, Sissy !, H to H et La Divina ; l’espace public, dans Ex-Vivo et En Mutation), il s’agit également maintenant de faire du spectateur le point central de la performance. Ce sont ses réactions face à l’image figée de deux hommes se prenant dans les bras qui donnent matière à réfléchir. Le spectateur improvisé, celui qui se trouve dans l’espace public, devient par son action le reflet d’une société qui peine à accepter la différence sexuelle, représentée ici par un geste de tendresse entre deux individus cis de genre masculin.

 

Comment est-il possible qu’une démonstration d’affection entre deux hommes puisse générer autant de violence et de révolte dans la société occidentale contemporaine ? Là est la principale question de la performance.


Créée comme un dispositif qui reproduit une sculpture vivante, Abraço est filmée et photographiée comme un reportage-documentaire. Les caméras (vidéo et photo) forment le cadre qui protège ce moment éphémère tout en collectant les réactions que la performance déclenche. De cette manière, l’utilisation de la caméra amplifie l’envergure de la production : elle permet d’ajouter à la performance vivante la création d’un objet vidéo, et apporte sa fonction de capteur sociologique et anthropologique, puisqu’il s’agit de porter un regard sur le comportement d’une société. La présence des caméras rend également multiple le phénomène de la performance vivante : s’agit-il d’un film ? D’une exposition ? D’un catalogue ? D’un projet multimédia ? Outre les vidéaste et photographe, l’écrivaine Manoela Sawitzki accompagne les performances et transforme l’expérience live art dans une production textuelle. Elle nous donne un aperçu des réactions collectées :


« Deux hommes se tiennent dans les bras.

− Pédés !
Deux hommes se tiennent dans les bras l’un de l’autre devant la station de métro Cinelândia, dans une après-midi de mai. Les travailleurs du marché à côté s’arrêtent pour regarder.
[...]

1. Vous allez vous marier?

2. Sales pédés!
Il y a du vent, il pleut, puis il ne pleut plus. L’automne devant la station Cinelândia. Les hommes qui se tiennent dans les bras sont quatre, deux autres s’y sont ajoutés. [Puis ils repartent, laissant seul le premier couple.]
Il fait froid, il fait chaud, le climat est sec et humide dans l’étreinte. [...] Tropical et polaire le contour. Les minutes passent, le peuple passe. Les regards. Il y en a qui fixent des yeux l’étreinte des deux hommes. Quelqu’un passe et, indigné, raconte au téléphone ce qui se passe ; deux amis chuchotent des choses et rigolent entre eux ; une femme noire se tourne et crie “miséricorde !” ; un monsieur âgé fait non de la tête, montrant sa désapprobation. Il y en a certains qui crient, ils sont nombreux. Voilà le monde alentour pendant que deux hommes se tiennent dans les bras, dans le centre-ville.

− Jette de l’eau, qu’ils se séparent !

[...]
Deux hommes se tiennent dans les bras, et c’est l’homme qui se tient lui-même dans ses propres bras. C’est le père et le fils, le frère, l’ami, le mâle, la femelle, l’enfant, le vieux, l’amant, l’inconnu. Des amoureux inconnus arrivent et se rejoignent dans l’étreinte.

- Regarde, que c’est beau ! Ils se tiennent dans les bras !

- Monsieur, je peux les prendre dans mes bras aussi ?

- Oui.

[Le couple des amoureux inconnus repart, les deux hommes du début se retrouvent seuls dans l’immobilité.]
Un clochard arrive et se place tout contre l’étreinte, fait des gestes obscènes, sexuels, insulte les deux hommes qui se tiennent dans les bras. Le public regarde et rigole. [...]

Mon père m’a appris à ne jamais avoir de préjugés. Dieu veut l’amour. Ce qui manque dans le monde, c’est l’amour.

Le père qui est parti et reste collé à la peau, le fils qu’on n’a jamais cessé d’être. Le frère indépendamment des liens du sang. Le sang qui coule et qui colle à l’autre sang qui coule. Dans la peur, la perte, la douleur, la joie, le nouvel an, l’anniversaire, la rencontre à l’aéroport, les adieux. L’étreinte. Les corps qui se désirent en silence. La peau, dans l’étreinte, parle d’elle-même.

[...]
C’est un film sur l’homophobie ?

C’est sur l’étreinte.
Ce sont des comédiens ?
D’une certaine manière, oui.
Tout ces gens en train de crier, 
c’est de l’hypocrisie.
Une étreinte dérange.
Je suis homosexuel et prostitué. 
Ces gars en costume qui passent et font des grimaces, ce sont les mêmes qui trompent leurs femmes et m’appellent pour coucher avec moi. S’ils ne payent pas un prostitué, ils payent un travesti.

L’étreinte anthropophage. [...] »


Nous pourrions croire qu’il s’agit d’un document sur des réactions homophobes dans un pays arriéré. Néanmoins, ces violentes réactions sur Abraço rejoignent celles essuyées au long du parcours de la performance, Ex-Vivo. Bien au-delà encore des insultes verbales lancées lors de la marche d'arrivée aux présentations au Théâtre de la Loge, dans une rue du 11e arrondissement de Paris, un groupe jette des pierres sur le performer. A Gentilly, un motard s’arrête à hauteur du performer et le menace de le frapper, lui disant qu’il n’a pas le droit de marcher dans la rue ainsi vêtu. Pourtant, dans Abraço, comme chez Pina Bausch et Deleuze, il s’agit d’un geste d’amour.


Concept_ Biño Sauitzvy.

Performers_ Biño Sauitzvy et Renato Linhares.

Directeur Photo_ Mauro Pinheiro Jr.

Son_ Caique Mello Rocha.

Texte_ Manoela Sawitzki.

Photo_ Breno Cunha e Mauro Pinheiro Jr.

Rio de Janeiro, Brasil, Mai 2012.

(Estação Carioca e Cinelandia.)


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)

https://www.theses.fr/2016PA080114