Le Djinn de la mer

LE DJINN DE LA MER

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Pendant tout notre séjour à Mayotte, nous avons entendu parler des djinns, les entités surnaturelles  qui font partie de la mythologie arabe et de la théologie islamique. Comme toutes les entités surnaturelles existantes dans d'autres différentes cultures, ils sont invisibles à l'oeil humain et nécessitent d'une sensibilité et perception autres, ainsi que d'un état modifié de conscience pour être perçus. Les djinns sont animistes et non nécessairement anthropomorphes. Pour cela, ils peuvent prendre des formes différentes, animale ou végétale par exemple, et sont liées aux forces élémentaires de la nature. De la même manière que les autres entités surnaturelles, les djinns peuvent influencer spirituellement et mentalement le genre humain, pouvant même prendre le contrôle sur ce dernier, comme dans le cas des possessions. 


Les djinns sont considérés immortelles. Pour cela et parce qu'ils sont des forces spirituelles, une fois détruits sur le plan physique, ils retournent à la source d'énergie élémentaire pouvant ainsi se guérir au fils du temps. Cela n'est pas étonnant, car la physique quantique, par exemple, parle des sources élémentaires comme l'endroit où tout est en état de non-forme ou d'avant-forme, un état/endroit de coexistence où tout est pure énergie. Certaines cultures animistes parlent de la source élémentaire comme étant le créateur ou la nature, où tout serait en état de pure existence ou potentialité, avant toute nouvelle genèse, naissance ou forme. Pour cela, une fois régénérés à la source d'énergie élémentaire, les djinns peuvent à nouveau retourner dans le monde physique et assumer une autre forme, pas nécessairement celles qu'ils possédaient auparavant. Et cette nouvelle existence peut se faire dans un royaume ou élément différent, à savoir sur ou sous la terre, dans l'air ou dans l'eau, et même dans le feu. Tout comme dans la mythologie grecque, il y aurait donc plusieurs royaumes où nous, les humains et tous les êtres vivants ou entités, peuvent exister et réincarner. 


Comme la mer à Mayotte, cette île et ancien volcan entourée d'eau, faisait partie de notre quotidien, nous nous sommes intéressés à ce royaume là. Nous avons vécu une bonne partie de notre séjour à Mayotte sous l'eau, dans le royaume de la mer, à fréquenter les êtres qui y vivent et à voir la forêt aquatique danser. Et nous avons découvert que dans la culture arabe, un Marid est un djinn des mers et océans. Chez les mahorais, il y a une crainte et un respect envers la mer, et les Marids sont souvent décrits comme le plus puissant type de djinns. Comme tous les autres djinns, ils ont un libre-arbitre, mais peuvent être contraints à accomplir des tâches. Quels tâches ? Peut-être que tout comme les autres entités surnaturelles, ils travaillent pour l'harmonie des forces opposées existantes dans tout environnement. Mais ils ont aussi la capacité d'exaucer les souhaits des mortels. Néanmoins cela nécessite de les battre et de les asservir à l'aide de rituels. Et pour cela, il faut avoir une maîtrise des outils qui permettent d'ouvrer dans l'invisible. 


On dit que les Marids, les esprits mystiques de la mer, méprisent les combats belliqueux inutiles des humains et ne s'y engageront que dans les cas de force majeure. Les Marids ne sont pas agressifs et préfèrent user de leurs capacités magiques afin d'affaiblir et confondre leurs ennemis, tout en appelant les autres puissances de la mer pour les écraser si nécessaire. Les armes et perceptions de l'élément eau ne sont donc pas les mêmes que celles que nous avons sur terre. Le Marid, en tant que Génie de la mer, est capable de respirer et de se déplacer normalement sous l'eau, ainsi que de marcher sur la surface maritime comme s'il s'agissait d'un sol solide. Et tout cela à la même vitesse, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'eau. Peut-être que cela a une relation avec la croyance des Yanomamis, indigènes de l'Amazonie, qui considèrent les amphibiens comme les ancêtres des humains ? Peut-être que l'élément eau n'est pas seulement la plus grande richesse de la terre, mais aussi la substance majeure qui compose notre corps, l'élément vitale par excellence, et que ce n'est pas un hasard que nous, les humains, sommes formés et vivons notre première phase de vie dans une poche des eaux ? Dans tous les cas, nous n'avons pas la même perception de la vie quand nous sommes sous l'eau ou à l'intérieur de la mer. 


Dans la mythologie grecque, laquelle est une des bases de la pensée occidentale, Poséidon est le dieu de la mer et des eaux. Dans la mythologie romaine, postérieure à la grecque, c'est Neptune. Et c'est ce dernier qui va donner le nom à la planète qui régit, dans l'astrologie, les signes d'eau : cancer, scorpion et poisson. Mais le Neptune romain a son origine dans le Poséidon grecque, lequel est fils de Kronos, le temps, et de Rhéa, la fertilité. Poséidon est aussi le frère de Zeus, le roi des dieux, d'Hadès, le maître des Enfers, et de Déméter, la déesse de la terre. Poséidon est lié aux tremblements de terre, ainsi qu'aux vents et également aux chevaux et aux taureaux. Parce qu'il est dieu des séismes, nombre de ses plus anciens lieux de culte dans la Grèce antique se trouvaient à l'intérieur même de la terre. Père du cheval ailé Pégase, il est souvent représenté entouré par des chevaux et des taureaux, et il se présente lui-même sous la forme d'un taureau pour séduire et avoir des rapports amoureux. Or, dans l'astrologie, le signe de taureau est régit par Vénus, la déesse Aphrodite grecque, qui est sortie de l'écume de la mer. Dans l'Énéide, épopée écrite par le poète Virgile qui raconte les épreuves du Troyen Énée, ancêtre mythique du peuple romain, le dieux Neptune rappelle à la déesse Vénus son origine aquatique pour la rassurer sur une supplique qu'elle lui adresse afin qu'il protège son fils Énée en mer, en lui disant : « Non, ce n'est pas à la fille des mers à craindre mes états : Vénus dans mon empire a reçu la naissance. » Vénus, déesse de l'amour, de la séduction, de la beauté, est la mère d'Hermaphrodite et de Cupidon, dieu de l'amour. Elle est fille de Gaïa, la terre-mère, et d'Ouranos, le ciel étoilé, le démiurge, le créateur.


Nous comprenons ainsi pourquoi les Marids, en tant qu'esprits mystiques de la mer, sont souvent représentés sous forme féminine et n'aiment pas les combats martiaux des humais. Et nous comprenons aussi pourquoi notre djinn de la mer, notre Marid rencontré dans notre séjour à Mayotte, a des cornes de taureau. Taureau est le signe astrologique régie par Vénus, qui a la terre comme élément régent et sous lequel Lika et Biño sont nés. Mais cela est une compréhension à posteriori, car le processus de fabrication artistique n'est parfois compris qu'après l'expérience empirique. Et peut-être que maintenant nous comprenons aussi le visage couvert de coquillage de notre djinn de la mer, car le coquillage est le symbole de l'infini par sa forme spiralée et de la vie éternelle, la temporalité et la permanence de l'être dans le changement. Et c'est d'un coquillage où Vénus-Aphrodite, la déesse de l'amour et de la beauté est née et à laquelle son symbole est associé.  


Performance réalisée dans le cadre du projet "Danser la Forêt" de Biño Sauitzvy et Lika Guillemot - Création en Cours des Ateliers Médicis.

Performance: Biño Sauitzvy.

Photo, plasticienne, collaboration artistique: Lika Guillemot.

Mayotte, Juin 2021.


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)


https://www.ateliersmedicis.fr/le-reseau/acteur/bino-sauitzvy-11220