Métempsychose

METEMPSYCHOSE

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Tout le long de notre séjour à Mayotte nous avons dû parcourir l'île en voiture. Sans une voiture il est presque impossible de se déplacer et les routes à Mayotte sont sinueuses et périlleuses. Tout le long de notre séjour à Mayotte en voiture donc, nous avons vu et croisé sur les routes des carcasses d'autres voitures mortes. Ces voitures brûlées, accidentées, abandonnées, entières ou en morceaux, sont ainsi réintégrées par la nature et font partie du paysage mahorais.    


Nous ne savons rien de leurs histoires, mais nous pouvons imaginer. Néanmoins nous savons que la métempsychose est un concept qui définit le déplacement et le passage de l'âme, c'est-à-dire le transvasement d'une âme dans un autre corps qu'elle va animer. En voyant ces carcasses, comme des corps ou des peaux abandonnées, nous croyons (car imaginer c'est croire) qu'une âme peut animer successivement plusieurs corps, soit d'humains soit d'animaux, ainsi que de végétaux et minéraux. De cette manière, car les paysages, les croyances, les vérités et l'imagination ne sont pas seulement nature, ils sont aussi culture, cette transmigration des âmes peut intervenir non seulement dans l'humain, comme il est courant de penser dans la conception de la réincarnation en occident. Pour les japonais et d'autres peuples asiatiques, par exemple, ainsi que pour d'autres cultures dont les amérindiennes, l'âme peut également habiter dans le non-humain, à savoir les bêtes, plantes, minéraux et tant d'autres formes, que ce soit animées ou inanimées. Ainsi, dans la métempsychose, l'idée de l'anthropocentrisme est défaite.  


Déjà pour le Grecs anciens, une des bases de notre pensée occidentale, la palingénésie désignait une nouvelle naissance, la genèse de nouveau (palín : de nouveau ; génesis : naissance). Pythagore même affirmait que « ce qui a été, renaît ». De cette manière la mort n'est pas une fin, elle est une transformation, un passage d'un état à un autre, d'une dimension à une autre, d'un corps à un autre, du visible au invisible et/ou vice-versa.


D'autres cultures croient que l'âme n'existe pas. Le bouddhisme, par exemple, croît plutôt à la métensomatose, où le moi n'est qu'illusion de l'identité individuelle. Cette idée de la réalité en tant qu'illusion est proche de la conception de la réalité en tant que fiction, trouvée dans la philosophie de Michel Foucault1. Néanmoins, même si tout ici n'est qu'illusion, le boudhisme croît que cette identité qui nous composait, une fois éteinte, des éléments psychiques qui la composent transmigrent dans un autre corps, dans un autre être, humain ou non-humain. En fait, le boudhisme utilise un terme spécifique pour cette transmigration qui est différent de la réincarnation : punarbhava, lequel pourrait être traduit par re-naissance. Dans ce sens, certains aspects et/ou éléments de nous ne disparaissent pas après la mort. Il y a ici quelque chose de l'ordre de la transformation, de la mutation, comme dans l'affirmation que dans la nature rien ne se perd, tout se transforme. Si la métensomatose boudhique vient du grec métensomatosis, qui signifie à son tour « passage d'un corps dans un autre », qu'est-ce qui se passe dans cet intervalle de temps ? Est-il possible de capter cet instant invisible du passage d'un corps à l'autre ? Capter cet instant invisible avant cette re-naissance ? 


Nous ne le savons pas avec certitude, mais nous supposons que oui, et, à travers certaines techniques artistiques et perceptions autres nous pouvons sentir et récréer cet instant, les incorporer à travers l'art de la performance et des techniques de la photographie. L'artiste rend ainsi visible l'invisible et, dans ce sens, le vide n'existe pas : il est peuplé par des présences qui l'oeil et la perception humaine ne captent pas dans ses états ordinaires quotidiens. Dans le butô (la danse des ténèbres, la danse du corps mort de l'après deuxième grande guerre créé par Tatsumi Hijikata et Kazuo Ohno), par exemple, nous devons croire que le vide est peuplé par des êtres invisibles. 


Aujourd'hui nous pouvons trouver – même si différemment – cette idée de transmigration, de passage et continuité dans le temps dans d'autres concepts, comme le transgénérationnel et de la mémoire cellulaire, dans lesquels nous avons une mémoire ancestrale et archétypale qui nous accompagne et qui nous compose. Ainsi, certains caractères (physiques ou psychiques) passent d'une génération à l'autre, comme des inscriptions, des mémoires, d'informations dans notre DNA. 


Dans un autre registre plus ancestrale encore, le Bhagavad-Gîtâ – partie centrale du poème épique Mahabharata et un des principaux textes de l'hindouisme – cite la transmigation des âmes à la manière d'un homme qui change ses vêtements, rejetant les vieux pour en prendre des nouveaux. L'âme changerait ainsi de corps de la même manière que nous changeons nos vêtements, nos peaux. En occident aussi Platon en parlait et distinguait trois espèces de métempsychose qui correspondaient aux abus et péchés humains. Selon Platon, nos conduites dans notre vie actuelle déterminent les formes sous laquelle l'âme reviendra. Toujours dans la Grèce antique, l'orphisme employait le terme palingénésie désignant la reconstitution du monde après que le feu l'a détruit, et cela dans un éternel retour. La palingénésie orphique signifie ainsi la « naissance à nouveau », la « régénération », ce qui veut dire également la palingénésie cosmique. Nous trouvons ici un autre parallèle avec la philosophie de Foucault, selon lequel le moi contient le monde et le monde contient le moi. De cette manière, le micro et le macro cosmos sont interconnectés. La palingénésie représente ainsi le retour à la vie des divers éléments de la nature. Tous les êtres sont interconnectés : les plantes se nourrissent des minéraux, les animaux se nourrissent des plantes, les hommes se nourrissent des animaux et/ou de leurs produits, même en respirant, tout être vivant assimile germes et poussières, et tout être est un hybride, un mutant. Dans ce cycle toujours recommencé de la palingénésie cosmique, les composants de la vie s'échangent, se redistribuent après la mort. Les cycles de la vie et de la mort sont ainsi la palingénésie universelle.


L'idée d'une renaissance ou régénération (en grec palingenesia) du cosmos était déjà présente chez Héraclite et les premiers stoïciens sous forme d'Eternel Retour. Cette idée de l'éternel retour, de l'éternel recommencement, est présente dans Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, comme dans le texte qui suit : « Il dit : « Comment ? Était-ce là la vie ? Allons ! Recommençons encore une fois ! ». Il s'agit de la répétition du même, quoique différemment, que l'on retrouvera plus tard dans toute l'oeuvre de l'après deuxième grande guerre de Samuel Beckett. Nous sommes en train de détruire la planète ? Encore une fois ? Il va falloir tout recommencer à nouveau, encore une fois. Mais qu'est-ce que se passe dans cet intervalle de temps ? Dans ce que nous ne voyons pas ? Dans l'attente de cet éternel retour et d'un nouveau commencement (qui est déjà là et toujours en train de se faire), et pendant que nous nous déplaçons en voiture à Mayotte, les performances Métempsychose captent et incorporent certaines de ces présences invisibles en transit, en mouvement et en déplacement. 


Performance réalisée dans le cadre du projet "Danser la Forêt" de Biño Sauitzvy et Lika Guillemot - Création en Cours des Ateliers Médicis.

Performance: Biño Sauitzvy.

Photo, collaboration artistique: Lika Guillemot.

Mayotte, Juin 2021.


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)


https://www.ateliersmedicis.fr/le-reseau/acteur/bino-sauitzvy-11220