Un monstre est un individu ou une créature dont l'apparence, voire le comportement, surprend par son écart avec les normes d’une société. Le terme vient du latin monstrare qui signifie « montrer », « indiquer ».
Accompagné par les investigations d’Antonin Artaud et de Michel Foucault et usiné par le théâtre, la danse et la performance, MONsTRER est un œuf, un incubateur, une machine dans lequel nous plongeons des matériaux intimes et fictionnels, pour donner vie à un tiers, un « monstre ».
Dans des combinaisons dissonantes, « anormales », de corps, d’images fragiles, de fêlures intimes, d’imperfections, cet être hybride « monstre » sa beauté et sa merveille dans son anomalie. La norme ne serait-elle pas le foyer d’aberrations ? Ne sommes-nous pas au regard de cette norme tous monstrueux ? Y a-t-il de la beauté sans anomalies ? Sans imperfections ? Y a-t-il une frontière entre monstre et merveille ? Ne sommes-nous pas des hybrides, des combinaisons complexes de corps, de sentiments, de blessures, de forces, de fragilités ? Cultiver sa singularité, sa complexité, sa pluralité, sa diversité, son hybridité, ses anomalies, ses imperfections, n’est-ce pas exercer sa puissance, se « monstrer » ?
"Pour exister il suffit de se laisser aller à être, mais pour vivre, il faut être quelqu’un, pour être quelqu’un, il faut avoir un OS, ne pas avoir peur de montrer l’os, et de perdre la viande en passant."
Antonin Artaud, In Pour en finir avec le jugement de dieu.
Texte d’yves kafka suite à une présentation de monstrer dans sa version courte :
« MONsTRER » de Thomas Laroppe & Biño Sauitzvy immerge dans l’univers d’Antonin Artaud pour en moduler ses échos singuliers dans une partition écrite de chair et d’os. Sur le fond sonore d’un enregistrement datant de 1948 où Artaud le Mômo déclame, avec les écholalies qui caractérisent son phrasé, sa conférence incendiaire (« Pour en finir avec le jugement de Dieu »), les deux performeurs chorégraphes se livrent à des arabesques hautement maîtrisées pour délivrer le corps de la gravité qui l’assujettit.
Lorsque les cris (in)articulés de l’inventeur du « Théâtre de la cruauté », plaçant la douleur liée à la souffrance d’exister au cœur de sa création, prennent ainsi corps au travers des figures chorégraphiées au millimètre, on est littéralement saisi de part en part. En effet, ce qui résonne alors en nous, à cor et à cri, n’est rien d’autre que l’expérience sensible d’une révélation hors normes. Et encore n’est-ce là que les prémices d’un projet que les deux complices comptent développer dans une version plus longue.
Dans sa recherche à jamais inaboutie de l’être débarrassé de ce qui l’asservit, le corps — ce lieu désespérément bancal — doit être mis à nu « pour lui gratter cet animalcule qui le démange mortellement, dieu, et avec dieu, ses organes ». Et Artaud de poursuivre : « Alors vous lui réapprendrez à danser à l’envers, et cet envers sera son véritable endroit. »
Et c’est justement à cet « endroit » précis que se situe la prestation corporelle de haut vol, conjuguant maîtrise exemplaire des équilibres les plus improbables et puissance fragile d’un corpus échappant aux lois de la gravité. Les deux corps mis à nu fusionnent en basculant d’avant en arrière dans la même entité vulnérable, prenant appui l’un sur l’autre dans une complicité exploratrice ayant pour effet de démultiplier l’être en soi. Pour exister, se laisser aller à être, prendre soin de « dilater » le corps pour qu’advienne l’homme sans entrave.
Et c’est à cette expérience fondatrice que l’on est convié, celle d’un être hybride, sorte de monstre qui naît devant nos yeux, se métamorphose à l’envi pour se montrer en toute liberté, nu, fragile et puissant.
Cette créature à quatre bras et quatre jambes dont le regard insuffle la volonté d’exister est une invitation à refuser toute soumission établie par un ordre extérieur. Quand les mots prennent corps, ils dansent effrontément.
Yves Kafka, pour la revue du spectacle.
Création et performance : Biño Sauitzvy et Thomas Laroppe.
Création lumière et regard extérieur : Jean Luc Terrade.
Co-production : Le Collectif des Yeux et Ateliers de Marche – Festival Trente/Trente.
Cette version de 30min de MONsTRER, a été présentée au Festival Trente/Trente à Bordeaux, 2021.
Avec le soutien de : l’Atelier des marches - Festival Trente / Trente (Bordeaux) et la Ménagerie de verre (Paris).
Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki) et Thomas Laroppe.