Proposition sans titre avec deux corps, deux coeurs, un mur et un sol

PROPOSITION SANS TITRE AVEC DEUX CORPS, DEUX COEURS, UN MUR ET UN SOL

La performance « Proposition sans titre avec deux corps, deux coeurs, un mur et un sol » est une composition avec six protagonistes - deux performeurs, Thomas et Biño, et quatre mots : corps, coeur, mur, sol -.


Ces mots protagonistes ont été choisis pour leurs résonances intimes chez les performeurs - l’un d’eux vient de se faire opérer du coeur -, mais n’ont pas été un « thème » ou une matière intellectuelle de travail. Ce sont des mots, dans le sens concret du terme, de la matière à travailler, et ils fonctionnent comme point de départ, en tant qu'outils réduits au minimum, à l'essentiel, comme protocole pour la création.


Le premier, le corps, est la partie matérielle d’un être animé. Il est notre territoire premier, l'enveloppe qui nous contient, la forme que nous prenons et par laquelle nous occupons l'espace. Le corps, en tant que surface première, est ici à la fois l’objet de travail et l’outil avec lequel nous dessinons dans l’espace. Le deuxième, le coeur, est l'organe central de l’appareil circulatoire, consistant chez l’être humain en un muscle creux de forme ovoïde pointant vers le bas et divisé en quatre cavités, situé dans la cage thoracique, entre les deux poumons. Le coeur pompe le sang, on entend les battements du coeur, on peut serrer quelqu’un sur son coeur. Il est la partie centrale, active ou essentielle de quelque chose, ainsi que le siège des sensations, des émotions, des sentiments profonds, des pensées intimes. Il se prête à toutes sortes d'usages linguistiques et symboliques : avoir le coeur sensible, tendre, ardent, volage; avoir des blessures au coeur.


Amour. Histoires de coeur. Peine de coeur. Bonté, générosité, bienveillance. Avoir bon coeur. Il n’a pas de coeur. Il est sans coeur. Apprendre par coeur.


Le troisième, le mur, est un ouvrage de maçonnerie plus ou moins vertical qui sert à soutenir une structure ou à bloquer le passage. Ce qui sépare quelqu’un de quelqu’un, d’autre ou d’un groupe, physiquement ou mentalement. Barrière qui sépare, qui délimite, mais aussi support, espace où une oeuvre d'art peut-être exposée.


Et finalement, le sol, surface de la Terre, territoire, mais également la substance de la surface de la Terre qui a été transformée par l’action des forces de la nature. Ces mots clés qui renvoient tous à la notion de territoire fonctionnent ici comme une base pour une écriture minimaliste, une calligraphie corporelle. Dans cette performance de 20 minutes se succèdent 4 figures qui engagent, contraignent, mobilisent en simultané les 6 protagonistes : les 2 corps (les performeurs, Biño et Thomas), les 2

coeurs - physiques et symboliques -, le mur et le sol. En équilibre, en dépendance et interdépendance, en pression et compression, des images se posent, tiennent, résistent, durent puis se transforment. Les murs blancs et le sol seront surface transformée où s’écrit l’expérience, et fait de la trace une narration. En partant de ces points, nous nous sommes interrogés sur l'écriture, dans le sens graphique du terme.


Et nous arrivons à la calligraphie japonaise, non comme point de départ, mais en tant que constat visuel de nos essais empiriques. Nos corps écrivent dans l'espace blanc de la galerie d'art pour qui la performance a été créée. Tout comme la calligraphie japonaise, nos gestes en noire sur le fond blanc, portent des sens cachés. Pour cela, la calligraphie Japonaise n'est pas seulement la beauté de la trace, mais aussi le sens souvent plus complexe de la signification du hiéroglyphe, car ce dernier est à la fois écriture, graphisme et symbole. Chaque ligne calligraphique est justifiée en tant qu'écriture, cependant l’hiéroglyphe a aussi une importance sacrale, car le signe calligraphique porte la charge énergétique en lui-même.


La calligraphie japonaise est une des pratiques Zen, tout comme l'escrime japonaise en épées (kendo) et d'autres arts de combat (budo). Les symboles calligraphiques sont écrits sur le papier blanc (tout comme le mur sur lequel nous écrivons avec nos corps), personnification du vide dans la philosophie Zen. Les signes noirs au fond blanc portent en eux-mêmes les notions du féminin et du masculin, l'Yin et l’Yang.


Cette pratique est une des voies menant vers la compréhension du sens de la vie et les vérités éternelles, aussi comme autrefois celle du combattant (busido) et des arts de combat (budo, karate-do, judo, kendo), entre autres.


Aujourd'hui, la calligraphie japonaise explore d'autres voies, sortant du cadre zen et philosophique pour accéder à d'autres formes plus proches du spectacle vivant, audiovisuel, mangas, de la mode, entre autres. La performance Proposition sans titre... décline ainsi tous ses éléments, tout en partant de la réalité concrète, pour les transmuter dans le présent, à l’image même de la calligraphie japonaise.


Performance de Biño Sauitzvy et Thomas Laroppe.

Dans le cadre de Still Moving - Festival de Performance.

Galerie Vincenz Sala.

Paris, Septembre 2015.

Photos: Lucile Adam.


Texte: Biño Sauitzvy (Robinson Sawitzki)

https://www.theses.fr/2016PA080114